Depuis juillet 2024, les forces kényanes ont fait leur apparition en Haïti dans le cadre de la Mission Multinationale d’Appui à la Sécurité (MMAS), une initiative censée soutenir les autorités haïtiennes dans leur lutte contre les gangs armés qui dévastent le pays. Toutefois, presque cinq mois après leur déploiement, les questions abondent sur l’utilité réelle de cette mission et l’efficacité des troupes kényanes. Loin d’apporter la sécurité promise, la présence de ces forces semble en réalité n’être qu’une mesure symbolique dans un contexte où les massacres continuent et où les gangs agissent en toute impunité.
L’inefficacité d’une mission à la fois mal préparée et mal soutenue
Lors de l’arrivée des troupes kényanes en juillet, l’espoir était grand parmi les Haïtiens et la communauté internationale. L’objectif affiché de la MMAS était d’offrir un soutien à la Police nationale haïtienne (PNH) désemparée, et d’aider à restaurer la sécurité dans un pays où les gangs armés contrôlent une grande partie des quartiers populaires. Mais force est de constater qu’aujourd’hui, la situation sécuritaire reste catastrophique.
Les massacres continuent à une échelle effrayante, particulièrement dans des endroits comme, Solino, Acahaie, Cabaret et Tabarre, où les groupes armés, de mieux en mieux organisés, déploient leur violence avec une impunité totale. En dépit de la présence des Kényans, rien ne semble pouvoir endiguer cette hémorragie de sang. Pourquoi cette impuissance apparente ? La réponse est simple : une mission mal calibrée, avec des troupes incapables de s’adapter à la réalité complexe du terrain haïtien.
Les forces kényanes, bien qu’équipées et formées, ne sont pas préparées à faire face à une guerre asymétrique, où les gangs sont plus mobiles, mieux armés et souvent mieux informés que les troupes déployées. De plus, leur nombre reste insuffisant pour occuper l’ensemble des zones sous contrôle des gangs. Même dans les zones où elles sont présentes, la mission semble se limiter à des actions ponctuelles, sans réel impact à long terme. Au lieu de véritablement restaurer la sécurité, les Kényans semblent cantonnés à des patrouilles qui n’apportent qu’un répit temporaire, souvent perturbé dès qu’ils quittent la zone.
Une mission internationaliste déconnectée de la réalité locale
Au-delà de l’incapacité des Kényans à mener des opérations efficaces, il est évident que la mission MMAS souffre d’une déconnexion totale avec la réalité du terrain. Loin d’être un simple soutien aux forces locales, la mission internationale aurait dû être accompagnée d'un soutien plus global, en collaboration étroite avec les autorités haïtiennes, pour encourager la réorganisation de l'État, des réformes de la justice et une véritable coopération avec la population locale. Cependant, l'ONU, au lieu de renforcer la capacité de l'État haïtien à mener ces réformes, semble se concentrer principalement sur la dimension sécuritaire, laissant de côté les enjeux politiques et sociaux nécessaires à une véritable stabilité.
Les autorités haïtiennes, déjà affaiblies et corrompues, ne sont ni prêtes ni capables de mener une réforme structurelle de grande envergure, et les troupes internationales semblent l’avoir oublié. Une telle mission nécessite des mesures politiques audacieuses et une véritable implication de la communauté internationale au-delà de la simple présence militaire. Mais au lieu de cela, ce qui se passe en Haïti depuis juillet 2024 ressemble plus à une forme de “bétonisation” du statu quo, sans volonté réelle de remettre en question le système politique qui nourrit la violence.
L’ONU, en particulier, semble plus préoccupée par des engagements diplomatiques et une posture de présence que par une véritable transformation des conditions qui permettent aux gangs de prospérer. De plus, les promesses de financement, d’armement et de soutien à la PNH se heurtent à une réalité bien plus complexe, où la corruption gangrène encore le fonctionnement de l’État haïtien, empêchant toute réorganisation effective des forces de sécurité. Les Kényans, comme leurs prédécesseurs, semblent piégés dans cette logique, n’ayant pas les leviers nécessaires pour inverser la tendance.
Un échec collectif de la communauté internationale
En définitive, l’échec de la MMAS en Haïti ne réside pas uniquement dans l'incapacité des troupes kényanes, mais dans l’échec de la communauté internationale elle-même à apporter une réponse cohérente et globale à la crise. La présence militaire internationale, en l’absence d’une véritable coopération avec la société civile et d’une réforme politique en profondeur, ne fait qu’aggraver la situation. Les Haïtiens sont pris entre deux feux : les gangs qui dominent leur quotidien et les troupes internationales qui, par leur inefficacité, ne font qu’aggraver le sentiment d’abandon.
Ce constat doit sonner comme un avertissement : Haïti ne peut pas être pacifié par la seule présence de forces armées étrangères. Ce pays a besoin de réformes structurelles profondes, d’une justice indépendante et d’un soutien massif pour reconstruire ses institutions. Les Kényans, comme les autres forces internationales, ne peuvent être qu'un petit élément dans cette équation, et encore, à condition de revoir leur stratégie. Tant que l’international ne comprendra pas cela, les massacres continueront, et Haïti restera un terrain de jeu pour les gangs et une vitrine d’échec pour les missions
de maintien de la paix.