Autrefois appelé eskwad, konbit ou kòve, ce rassemblement populaire, encore bien ancré dans les milieux ruraux d’Haïti, dépasse largement le cadre d’une simple réunion de paysans. Il incarne un système de solidarité active, une mise en commun des forces pour accomplir ensemble les travaux agricoles tels que le labourage, les semailles ou les récoltes. Chaque paysan donne de son temps et de son énergie à un voisin, avec l’assurance de recevoir le même soutien pour ses propres terres.
Ce modèle d’entraide s’enracine dans l’histoire profonde du peuple haïtien. Dès l’époque coloniale, les esclaves marrons formaient des escouades pour mener des attaques coordonnées contre les plantations. De ces regroupements sont nées les premières formes de coumbite, parfois assimilées à des sociétés secrètes, véritables gardiennes des traditions de résistance, de solidarité et de reconstruction.
Après l’indépendance de 1804, Haïti, dépourvue d’infrastructures modernes, devait se reconstruire presque exclusivement à partir de la terre. Dans ce contexte, la pratique du coumbite a été essentielle à la survie et à la subsistance des familles paysannes. L’État redistribuait les terres, mais les moyens techniques manquaient cruellement. Grâce au coumbite, les communautés rurales ont su pallier ces lacunes en unissant leurs efforts.
Jacques Roumain, dans son chef-d'œuvre Gouverneurs de la Rosée, a immortalisé cet esprit de solidarité à travers le personnage de Manuel. Ce dernier comprenait que seule une action collective pouvait faire revenir l’eau dans la région aride de Fond-Rouge. Son appel à la solidarité demeure un cri d’espoir intemporel pour tout un peuple.
Une Tradition en Déclin
Mais qu’en est-il aujourd’hui ? Cette tradition séculaire peut-elle encore répondre aux défis contemporains ?
Dans certaines zones rurales, le coumbite survit tant bien que mal. Cependant, dans les centres urbains, les valeurs de solidarité s’effritent face à l’individualisme croissant et à l’instabilité sociale. Champs de Mars, autrefois lieu d’expositions artisanales, de découvertes gastronomiques et de rassemblements culturels, est aujourd’hui méconnaissable. Ces moments de partage et ces scènes de joie populaire ont laissé place à l’insécurité, à l’occupation anarchique et à l’abandon.
Kenscoff, autrefois bastion agricole et vivier de coopération paysanne, voit également son tissu social se désagréger. Dans l’Artibonite, grenier agricole du pays, les grandes coumbites se font rares, malgré des besoins toujours pressants.
Une Menace Grandissante
Une nouvelle menace aggrave cette situation : les gangs armés, notamment ceux de la coalition Viv Ansanm, terrorisent les départements de l’Ouest et de l’Artibonite. Ces groupes armés détruisent les liens sociaux, paralysent les activités agricoles, entravent la libre circulation des biens et des personnes, et réduisent à néant toute tentative de mobilisation populaire. Là où régnait autrefois l’esprit du coumbite, ce sont désormais la peur, l’exil et la survie qui dominent.
Une Solution d’Avenir
Et pourtant, le coumbite pourrait bien être la clé pour surmonter la crise actuelle. Il nous faut réapprendre à conjuguer nos efforts, à privilégier l’intérêt collectif au détriment des ambitions personnelles. Un nouveau Manuel, visionnaire et patriote, pourrait ranimer cet esprit de solidarité qui a fait la force de nos ancêtres. Ces derniers nous ont frayé le chemin : il nous appartient maintenant de le suivre pour en faire une voie de renaissance et d’espoir.