Quand le Conseil présidentiel de transition devient le symbole de l’impasse nationale
Haïti est suspendue dans le vide. Prise en étau entre l’impuissance des institutions, la violence des gangs et la lassitude d’une population meurtrie, la nation toute entière semble glisser vers un point de non-retour. Dans ce chaos devenu chronique, le Conseil présidentiel de transition (CPT), présenté à sa naissance comme une alternative de stabilité, s’est révélé, au fil des semaines, comme l’un des visages les plus flagrants de la crise de gouvernance actuelle.
Mis en place dans un contexte d’urgence et d’extrême fragilité, le CPT avait pour mission de rétablir un minimum de fonctionnement institutionnel, d’ouvrir la voie à des élections crédibles et de restaurer la confiance. Force est de constater que cet organe, lourdement politisé, miné par des querelles internes et dépourvu d’une vision claire, a perdu toute capacité d’impulsion. Non seulement il peine à agir, mais il semble incapable même de s’accorder sur les priorités les plus élémentaires du moment.
Ce Conseil, censé être collégial, fonctionne dans l’opacité, soumis à des calculs d’intérêts partisans et à une logique de partage de postes, plutôt qu’à une réelle volonté de redressement national. À mesure que les jours passent, son manque de légitimité populaire devient criant. Sa communication confuse, ses promesses sans effet, ses nominations contestées : tout concourt à l’érosion de la confiance, tant au sein de la population qu’auprès des partenaires internationaux.
Et pendant que le CPT patauge, le pays brûle. La capitale reste livrée à des groupes armés. Des zones entières sont vidées de leurs habitants. Le système judiciaire est en ruines. Les écoles ferment. Les hôpitaux agonisent. Des milliers de familles vivent dans des conditions inhumaines. Le peuple haïtien, pris en otage entre la peur et le désespoir, ne voit poindre aucune lumière à l’horizon. Le Conseil présidentiel de transition, en dépit des moyens mis à sa disposition, semble plus préoccupé par sa propre survie politique que par le sort de la nation.
Dans cette atmosphère d’enlisement, la Caricom, par l’intermédiaire de son Groupe des éminentes personnalités, tente de relancer discrètement le dialogue politique. En consultant d’anciens signataires de l’accord du 3 avril, des figures politiques majeures et des représentants de la société civile, cette initiative semble marquer une prise de distance tacite avec le CPT. Faut-il y voir le prélude d’un nouveau processus ? Un ultime pari sur la capacité des Haïtiens à se parler sans médiation de façade ? Ou, au contraire, une tentative désespérée de sauver les apparences alors que l’échec du dispositif actuel devient trop évident pour être nié ?
Il serait naïf de croire qu’un simple réarrangement d’acteurs suffira à sortir le pays de la crise. C’est toute la logique du pouvoir transitoire, centralisé et déconnecté du terrain, qui est à remettre en question. Il est impératif de reconstruire un cadre plus inclusif, fondé sur une réelle volonté de refondation démocratique et une transparence radicale. Le temps est venu de cesser de gérer la crise comme un simple agenda politique.
L’avenir d’Haïti ne peut se construire dans des bureaux climatisés, loin du quotidien infernal des citoyens. Il exige un courage politique que le CPT n’a pas su incarner. Il exige une rupture. Une rupture avec le système qui recycle les mêmes élites inefficaces. Une rupture avec la logique de transition perpétuelle. Une rupture avec l’indifférence face à la souffrance collective.
Il reste peu de temps pour éviter que l’histoire n’enregistre ce moment comme celui de l’effondrement final. Le sursaut doit venir de ceux qui croient encore que cette terre mérite mieux. Ce n’est qu’à ce prix qu’un avenir, digne de ce nom, pourra émerger.