Frankétienne, immense écrivain, poète, dramaturge, peintre et intellectuel haïtien, s’est éteint ce jeudi à l’âge de 89 ans, a annoncé sa famille. Ce décès marque la fin d’une ère pour Haïti et pour la francophonie, tant son œuvre a façonné la littérature haïtienne et universelle.
Son départ est une perte incommensurable pour le pays, mais son héritage, à travers ses écrits, ses toiles et ses engagements, restera à jamais gravé dans la mémoire collective.
Un esprit libre et visionnaire
Né Jean-Pierre Basilic Dantor Franck Étienne d'Argent le 12 avril 1936 à Ravine-Sèche, un petit village de l’Artibonite, Frankétienne a grandi dans les quartiers populaires de Bel-Air à Port-au-Prince, élevé par sa mère, une femme courageuse et dévouée.
Très tôt, il développe un amour profond pour les lettres, la musique et les arts plastiques. Curieux et autodidacte, il se forge une culture littéraire et artistique impressionnante, malgré les difficultés économiques.
Il devient enseignant et consacre plusieurs décennies à l’éducation, tout en menant une carrière d’écrivain et d’artiste prolifique. Frankétienne n’a jamais cessé de croire en la puissance de la culture pour éveiller les consciences et transformer la société.
Le père du spiralisme
En 1968, aux côtés de Jean-Claude Fignolé et René Philoctète, il fonde le spiralisme, un mouvement littéraire révolutionnaire. Inspiré de la spirale – un symbole de mouvement perpétuel et de chaos maîtrisé –, ce courant prône une écriture non linéaire, éclatée, dynamique, à l’image du monde haïtien en perpétuelle mutation.
Le spiralisme transcende la littérature et s’étend à la peinture et au théâtre, marquant profondément l’esthétique de Frankétienne. Son style unique, mêlant français et créole, prose et poésie, ordre et désordre, fait de lui une figure inclassable et fascinante.
Œuvres marquantes
Frankétienne laisse derrière lui une œuvre monumentale, qui compte plus d’une cinquantaine de livres et de nombreuses toiles. Parmi ses œuvres majeures :
"Dézafi" (1975) – Premier roman en créole haïtien, une plongée dans l’univers du vaudou et de l’oppression sociale, où les zombies symbolisent l’aliénation du peuple haïtien sous la dictature.
"Ultravocal" (1972) – Un texte foisonnant, entre poésie et roman, considéré comme l’un des chefs-d’œuvre du spiralisme.
"Mûr à crever" (1968) – Son premier roman, une critique puissante des injustices et de l’absurdité du monde.
"Pèlin-Tèt" (1978) – Une pièce de théâtre en créole, témoignage vibrant de la richesse linguistique et culturelle d’Haïti.
"Hécatombe SIDA" (2000) – Un cri de révolte contre la pandémie du VIH/SIDA et l’abandon des malades.
"Désastre" (12 janvier 2010)" – Une œuvre picturale poignante, réalisée après le séisme qui a ravagé Haïti.
Un artiste aux multiples talents
Frankétienne ne s’est pas limité à la littérature. Peintre talentueux, ses toiles colorées et tourbillonnantes traduisent le même souffle spiraliste que ses écrits. Il était aussi musicien et acteur, multipliant les performances où se mêlaient chant, poésie et mise en scène.
Son art, profondément haïtien, portait la mémoire et la souffrance de son peuple, tout en célébrant sa résilience et sa créativité inépuisable.
Reconnaissance et héritage
Si son œuvre a d’abord été controversée en raison de son style audacieux, Frankétienne a fini par être unanimement salué, tant en Haïti qu’à l’international.
Il a reçu plusieurs distinctions prestigieuses, dont :
Commandeur de l’Ordre des Arts et des Lettres (2010, France)
Grand Prix de la Francophonie (2021, Académie française)
Artiste de l’UNESCO pour la paix (2010)
Frankétienne était aussi pressenti pour le Prix Nobel de Littérature, preuve de son rayonnement intellectuel mondial.
Un immortel dans la mémoire collective
Avec la disparition de Frankétienne, Haïti perd l’un de ses plus grands esprits. Mais son œuvre demeure. Ses romans, ses poèmes, ses tableaux continueront d’inspirer les générations futures, témoignant de l’extraordinaire richesse de la culture haïtienne.
Frankétienne s’éteint, mais ses mots résonneront à jamais, comme une spirale infinie, défiant le temps et l’oubli.